À l'occasion du 120e anniversaire de la loi de séparation des Églises et de l'État, il est essentiel de revisiter le parcours des femmes dans cette dynamique laïque. Longtemps invisibilisées dans la sphère publique, ces pionnières ont saisi la laïcité naissante de la IIIe République comme un puissant vecteur d'émancipation.
À la suite de la restauration des libertés de réunion et de presse en 1868, un mouvement d'associations et de cercles de pensée permet aux femmes de s'exprimer librement, la laïcité étant à la fois un cadre et un moteur pour cette émancipation. C’est particulièrement dans le domaine de l'éducation que le combat pour les droits des femmes s'est manifesté.
Les pionnières : instruire pour libérer
Maria Deraismes, écrivain et conférencière, s'impose rapidement comme une figure incontournable du féminisme républicain. Lors de sa conférence à Troyes en 1880 sur La femme et le progrès, elle soutient que l'inégalité entre les sexes est le fruit d'une construction sociale plutôt que d'une fatalité biologique. Son engagement en faveur de l'éducation des filles ouvre la voie à une citoyenneté féminine éclairée, allant bien au-delà des stéréotypes traditionnels.
Suivant ses pas, Nelly Roussel, elle aussi militante influente, élève le combat pour la liberté des femmes. Rejetant ses racines catholiques, elle s'illustre dans des mouvements de libre pensée et fustige les entraves à une maternité choisie. Sa voix, forte et engagée, défend un féminisme laïque centré sur le droit des femmes à disposer de leur corps, plaidant pour un contrôle sur leur propre destin.
Des figures comme Victoire Tinayre, qui gère des écoles réservées aux filles, s'impliquent également dans le mouvement éducatif. Sa collaboration avec Louise Michel illustre la convergence du socialisme et de la laïcité en favorisant l'accès des femmes à la culture.
Les paradoxes d'une émancipation encadrée
Pourtant, cette laïcité émancipatrice n'a jamais été un ensemble homogène. Si l'éducation gratuite intégrait les femmes, des réglementations de la société de l'époque restreignaient leur corps et leur liberté. Après la Première Guerre mondiale, l'État adopte une loi en 1920 qui pénalise la propagande contraceptive, imposant finalement aux femmes des normes répressives au lieu de les libérer. Comme l’affirme la sociologue Christine Bard, cette loi illustre un décalage entre les idéaux républicains de liberté et leur application.
De manière plus contemporaine, des tensions similaires émergent. Le Mouvement français pour le Planning familial, acteur clé des droits reproductifs, s’enracine dans un féminisme qui combat les injonctions religieuses pesant sur les femmes. Certains courants considèrent même le voile comme un symbole d'oppression, soutenant son interdiction dans des espaces scolaires. Ces postures révèlent une dichotomie au sein du féminisme quant à l'interprétation de la laïcité.
Un terrain de lutte toujours mouvant
L'histoire des femmes et de la laïcité s'apparente à une conquête dans la conquête : celle de l'accès à l'instruction, aux droits civiques et à l'autonomie corporelle. En cela, la laïcité est une arène dynamique où les conceptions du corps, de la liberté et de l'égalité s'affrontent. Dans un contexte actuel, cette lutte au sein du mouvement féministe se diversifie. D'un côté, des figures comme Élisabeth Badinter défendent la laïcité comme rempart contre les pressions religieuses. De l'autre, des mouvements intersectionnels critiquent l'homogénéité des discours laïques, plaidant pour la reconnaissance des identités variées au sein du féminisme.
Ce clivage rappelle que la laïcité demeure un champ de tensions. Dans le cadre de la République, elle oscille entre l'universalité et la prise en compte des spécificités, interrogeant en permanence le concept même d'égalité des sexes dans un monde en constante évolution.







