Le groupe industriel Thyssenkrupp, considéré comme le baromètre de l'industrie lourde en Europe, vient de dévoiler un bénéfice net inattendu de 465 millions d'euros pour l'exercice 2024-2025. Cependant, cette embellie semble être une illusion, avec une prévision de pertes colossales pour l'exercice suivant, soulignant l'ampleur des restructurations nécessaires dans sa branche acier.
Cette situation fait écho à une réalité complexe. Le géant allemand, récemment dirigé par Miguel Ángel López Borrego, a pris les rênes à un moment critique. L'annonce de ce bénéfice pourrait être perçue comme un signe de redressement, après deux années consécutives de pertes. Pourtant, cette amélioration est principalement attribuée à des effets comptables et à des cessions ponctuelles, plutôt qu'à un rétablissement soutenu de son activité principale.
Dans le même temps, Thyssenkrupp s'attend à rapporter une perte significative pour l'année en cours, estimée entre 400 et 800 millions d'euros. Ce besoin d’austérité est associé à une provision massive destinée à restructurer sa branche acier, longtemps considérée comme le poumon historique du groupe, mais désormais affaiblie.
Une industrie allemande sous pression
La sidérurgie allemande est aujourd'hui piégée entre des défis mondiaux. D'un côté, les coûts énergétiques en forte hausse, résultant de l'abandon du nucléaire et de la guerre en Ukraine, pèsent sévèrement sur les bénéfices. De l'autre, la concurrence de l'acier bon marché, notamment en provenance de Chine, inonde le marché. La division Steel Europe de Thyssenkrupp, employant près de 27 000 personnes, est indispensable à l'ensemble de l'écosystème industriel européen, de l'automobile à la construction, y compris en France, premier partenaire commercial de l'Allemagne.
Face à cette tempête, Miguel Ángel López Borrego, connu pour sa capacité à redresser des entreprises, envisage des réductions d’effectifs pour alléger le fardeau financier. Selon des experts du secteur, les performances de Thyssenkrupp reflètent la désindustrialisation croissante en Europe. Un échec du groupe aurait des répercussions directes sur l'ensemble de la chaîne de valeur, menaçant jusqu’aux PME françaises actives dans des secteurs comme la métallurgie ou les machines-outils.
L'acier vert, un enjeu crucial
Un possible sauvetage pourrait cependant venir de Naveen Jindal, un magnat indien de l’acier, qui s’est récemment intéressé à la division de Thyssenkrupp. Champignon de l’« acier vert » à faible émission de carbone, Jindal pourrait apporter des solutions cruciales. Thyssenkrupp a déjà engagé des milliards dans ce secteur grâce à des subventions publiques, visant à décarboniser sa production.
Ce thème invite à un débat crucial : l'État allemand est-il prêt à continuer d'approvisionner cette transition écologique avec des fonds publics, même si cela mène à une perte de contrôle sur des technologies stratégiques ? L'acier vert représente un enjeu de souveraineté tant technologique qu'environnementale. Céder une part de cette industrie lourde, bien qu'en difficulté, risquerait de compromettre la maîtrise de la décarbonation en Europe.
Les décisions qui se prennent actuellement à Essen détermineront l'avenir du « made in Europe ». La restructuration de Thyssenkrupp ne sera pas simplement une question de réorganisation des comptes mais marquera la transition vers un nouveau modèle industriel. Les acteurs majeurs européens devront se réinventer face à cette réalité, tout en sachant qu'un soutien ferme à l'innovation verte sera indispensable pour éviter une désintégration de l'industrie à long terme. Le sort de Thyssenkrupp résonne comme un écho de l'avenir de l'Europe elle-même.







