Au-delà des représentations idylliques, la vie à la campagne se révèle être un puissant amplificateur d'inégalités pour les femmes, comme l'indique une étude récente de l’Institut Terram et de l’association Rura. Publiée le 8 décembre, cette recherche met en lumière un "malus rural du genre", suggérant que si les inégalités entre les sexes sont omniprésentes, leur intensité est exacerbée par la faible densité de population et l'éloignement géographique, piégeant ainsi les 11 millions de femmes vivant en zone rurale dans des situations économiques précaires.
Salomé Berlioux, directrice de Rura et co-auteure de l'étude, souligne : "Nous avons une vision romantique de la ruralité qui occulte les inégalités systémiques. Une telle perception empêche de véritablement saisir les défis quotidiens auxquels les femmes font face". Pour les chercheuses, la problématique réside également dans la géographie, où la règle du "1 kilomètre = 1 minute" impose une contrainte de mobilité rigoureuse. Dans ces territoires, chaque déplacement devient un véritable casse-tête nécessitant un véhicule, ce qui accentue la dépendance à l'automobile.
Les contraintes de mobilité : un frein à la carrière
La dynamique familiale influence également cette inégalité. Isabelle Dugelet, maire de La Gresle, observe une répartition inégale des véhicules au sein des couples : "Lorsque deux voitures sont présentes, l'homme possède souvent le modèle le plus récent, tandis que la femme hérite de celui qui est le plus âgé pour ses déplacements quotidiens". Cette réalité se traduit par des choix professionnels restreints. Manquant de transports publics adéquats ou de permis de conduire, certaines femmes se voient contraintes de renoncer à des opportunités d'emploi ou de se contenter de postes moins bien rémunérés à proximité. C'est exactement ce qu'a vécu Anaïs, 31 ans, résidente à Tonnay-Boutonne, qui a décliné une offre d'emploi plus lucrative en raison de son éloignement.
Elle souligne également que le sexisme persistant dans ces zones rurales complique encore davantage son cheminement professionnel : "J'ai récemment été refusée d'une promotion à cause de ma grossesse. Mon employeur ne voit pas le sexisme dans cette décision", confie-t-elle à l’AFP.
Une précarité accentuée par la maternité
Le rapport révèle que la maternité amplifie la précarité économique des femmes : avec seulement huit places de crèche disponibles pour 100 enfants en milieu rural, contre 26 en milieu urbain, les femmes sont souvent forcées de choisir entre leur carrière et leurs responsabilités familiales. Selon l'étude, c'est le choix "rationnel" qui pèse souvent en faveur de l'arrêt de leurs activités professionnelles, entraînant un "appauvrissement silencieux".
Alors que les hommes investissent dans des actifs durables comme leur maison ou une voiture neuve, les femmes gèrent les coûts liés aux dépenses courantes telles que l'alimentation et les vêtements des enfants. Cette situation a été qualifiée par l'essayiste Titiou Lecoq de "théorie du pot de yaourt", selon laquelle "l'argent des femmes disparaît dans le quotidien, tandis que celui des hommes contribue à construire un patrimoine", note Félix Assouly, co-auteur de l'étude. Dans le cas d'une séparation, les conséquences sont encore plus désavantageuses : l'homme conserve la maison et le véhicule, tandis que la femme se retrouve souvent démunie.
Cette vulnérabilité économique incarcère les femmes dans leurs relations : une enquête révèle que 27% des femmes rurales estiment ne pas pouvoir s'en sortir financièrement en cas de séparation, contre seulement 9% des hommes. Ces disparités mettent en lumière la nécessité d'une action ciblée et d'un changement de paradigme pour favoriser l'égalité des sexes en milieu rural, et ne peuvent être ignorées si l'on souhaite un avenir plus équitable pour toutes.
